Le Mont-Tremblant est aujourd’hui bien connu pour ses pistes de ski et ses paysages grandioses. Véritable emblème touristique de la région des Laurentides, il attire chaque année des milliers de visiteurs venus profiter de ses pentes, de ses sentiers ou de son village animé. Mais, au-delà de ces faits bien visibles, nombreux sont ceux qui reconnaissent que cette montagne dégage une aura particulière. Il suffit parfois de s’arrêter, de lever les yeux ou de marcher en silence dans ses environs pour ressentir une présence, comme un souffle ancien difficile à décrire.
Ce sentiment n’est pas nouveau. Bien avant le développement touristique et les infrastructures modernes, ce territoire détenait déjà une signification profonde pour les premiers habitants de la région. Des générations d’aînés autochtones se souviennent que certains lieux étaient désignés pour accueillir des rassemblements spirituels. On les choisissait pour leur beauté, leur force, leur âme… mais aussi parce qu’ils se trouvaient à des points de rencontre naturels entre les familles et les nations. Ces lieux étaient accessibles par les cours d’eau — et dans notre région, ce ne sont pas les lacs et les rivières qui manquent! Depuis des millénaires, nos nombreux cours d’eau ont permis des voyages sur de très longues distances, des échanges et des retrouvailles dont la mémoire perdure encore aujourd’hui.
Parmi les histoires fréquemment rapportées au sujet du Mont-Tremblant, l’une des plus répandues raconte qu’un esprit vivrait dans la montagne et que celle-ci se mettrait à trembler lorsque cet esprit entre en colère. Cette version, souvent présentée comme une légende autochtone, circule depuis plusieurs décennies, notamment depuis sa publication dans un ouvrage des années 1950. Pourtant, lorsque l’on prend le temps d’écouter les voix autochtones elles-mêmes, un tout autre regard émerge.
Dominique Rankin, chef héréditaire et aîné anicinape (algonquin), raconte que cette histoire ne fait pas partie de sa tradition. Il ne l’a jamais entendue durant son enfance ni transmise par ses guides ou ses enseignants. D’autres membres des Premières Nations ont également exprimé leur étonnement face à cette légende qui leur semble étrangère. Elle semble s’éloigner des façons traditionnelles de transmettre les récits dans leurs communautés, laissant croire qu’elle pourrait avoir été influencée par d’autres perspectives culturelles.
Dans les cultures autochtones, l’histoire se transmet oralement de génération en génération. Ce mode de transmission est parfois mal compris par ceux qui sont habitués aux récits fixés dans les livres. Pourtant, lorsqu’on en découvre la rigueur, la précision et surtout le lien vivant qu’elle entretient avec le territoire, on réalise que les récits des anciens méritent toute notre considération.
On a parfois tendance à croire que la présence autochtone sur ces territoires appartient à un passé lointain. Pourtant, des aînés comme Grand-père William Commanda (1913-2011), originaire de la communauté de Kitigan Zibi et reconnu dans le monde entier pour ses connaissances et sa sagesse, racontaient encore récemment leurs souvenirs d’enfance sur ces terres. Sa famille avait su préserver le mode de vie traditionnel malgré les épreuves de la colonisation. Sa mémoire, comme celle de bien d’autres, demeure ainsi une source précieuse et toujours actuelle.
Alors, que disait l’aîné William Commanda au sujet du Mont-Tremblant? C’est l’aîné Dominique Rankin, un des plus proches élèves de Grand-père William, qui nous apporte la réponse. L’aîné Dominique explique que le nom ancien donné à la montagne, Mando Aji, pourrait avoir été mal interprété au fil du temps. Ce nom, qu’on peut traduire par « esprit qui bouge » ou « mouvement de l’esprit », ferait plutôt référence à un rituel ancien, connu sous le nom de tente tremblante. Ce rituel, extrêmement respecté, n’est généralement pas abordé publiquement. Il appartient à un savoir transmis avec prudence. C’est peut-être par méconnaissance de cette pratique que certaines personnes ont cru que la montagne elle-même tremblait lorsqu’un esprit s’y manifestait.
Une chose est certaine : les aînés autochtones qui connaissent le territoire parlent d’un lieu dans les montagnes de Mont-Tremblant qui porte encore la mémoire d’usages anciens. Ce lieu, situé en dehors des zones développées, est évoqué avec beaucoup de discrétion. Il n’apparaît jamais dans les écrits publics, et son emplacement n’est pas dévoilé. Ce silence est délibéré, témoignant d’une volonté claire de protéger les espaces sensibles, non pour freiner la curiosité, mais pour éviter les projections et les intrusions qui pourraient en altérer la portée.
Aujourd’hui, la plupart de ces savoirs ne sont plus transmis aussi librement qu’avant. Les pensionnats autochtones, en imposant le silence et la honte, ont contribué brisé la chaîne naturelle de transmission entre les générations. Bien des jeunes ont grandi sans entendre ces récits, sans connaître les lieux qui avaient tant compté pour leurs ancêtres. Pourtant, dans le cœur de plusieurs aînés, la mémoire n’a jamais cessé de résonner. Et aujourd’hui, elle connaît un grand mouvement de renaissance.
C’est pourquoi il est si important d’adopter une posture d’écoute. Toutes les histoires que l’on entend à propos d’un lieu ne se valent pas, et toutes ne sont pas nées de la même source. Certaines ont été inventées ou transformées pour plaire à un imaginaire occidental. D’autres, plus rares, émergent d’un lien authentique, tissé au fil du temps. Ces dernières ne cherchent pas à séduire, elles demandent seulement à être entendues avec respect.
Mont-Tremblant est une montagne dont l’aura dépasse les mots. Pour certains, elle est un lieu de loisir et d’évasion. Pour d’autres, elle est un repère ancien, porteur d’une mémoire fragile. Loin de s’opposer, ces visions peuvent coexister, à condition de ne pas effacer les voix les plus discrètes. Celles qui, depuis toujours, savent écouter la montagne non comme un décor, mais comme une présence.
Mont-Tremblant is well known for its ski slopes and spectacular scenery. A true tourist icon of the Laurentian region, it attracts thousands of visitors every year who come to enjoy its slopes and trails, as well as its lively village. But beyond these obvious facts, many people recognize that this mountain has a special aura. Sometimes, all you have to do is stop and look up, or walk silently in its surroundings to feel a presence, like an ancient breath, that is difficult to describe.
This feeling is not new. Long before the development of tourism and modern infrastructure, this area already held deep significance for the region's first inhabitants. Generations of Indigenous elders remember that certain places were designated for spiritual gatherings. They were chosen for their beauty, their strength, and their soul. But they were also chosen because they were natural meeting points between families and nations. These places were accessible by waterways - and in our region, there is no shortage of lakes and rivers! For thousands of years, our many waterways have enabled long-distance travel, trade, and reunions, the memory of which still lives on today.
Among the stories frequently told about Mont-Tremblant, one of the most widespread is that a spirit lives in the mountain and that the mountain begins to shake when this spirit becomes angry. This story, often presented as an Indigenous legend, has been circulating for several decades, particularly since its publication in a book dating back to the 1950s. However, when we take the time to listen to Indigenous voices themselves, a completely different perspective emerges.
Dominique Rankin, hereditary chief and Anicinape (Algonquin) elder, has said that this story is not part of his tradition. He never heard it in his youth, nor did he receive it from his guides and teachers. Other First Nations people have also expressed surprise at this legend, which seems foreign to them. It appears to stray from the way stories are traditionally shared in their communities, suggesting that it may have been influenced by other cultural sensibilities.
In indigenous cultures, history is passed down orally from generation to generation. This method of transmission is sometimes misunderstood by those who are accustomed to stories recorded in books. However, when we discover the rigour and precision of the oral tradition, and above all, its living connection to the land, we understand that the stories of our ancestors and the manner in which they are passed on to future generations deserve our utmost consideration.
Furthermore, we sometimes tend to believe that the Indigenous presence in these territories belongs to, and is part of, a distant past. However, elders such as Grandfather William Commanda (1913-2011), a member of the Kitigan Zibi community, who is recognized worldwide for his knowledge and wisdom, were still recounting their childhood memories of these lands until recently. His family had managed to preserve their traditional way of life despite the hardships of colonization. His memory, like that of many others, therefore remains a precious and ever-relevant source.
So, what did Elder William Commanda say about Mont-Tremblant? Elder Dominique Rankin, one of Grandfather William's closest students, gives us the answer. Elder Dominique explains that the mountain's ancient name, Mando Aji, may have been misinterpreted over time. This name, which can be translated as “moving spirit” or “movement of the spirit,” refers instead to an ancient ritual known as the shaking tent. This highly respected ritual is not usually discussed publicly. It is part of an arcane body of knowledge that is passed down with caution. It is perhaps due to a lack of knowledge about this practice that some people believed that the mountain itself shook when a spirit manifested itself there.
One thing is certain: Indigenous elders who know the territory mention the existence of a place in the Mont-Tremblant mountains that, according to them, still bears the memory of ancient customs. This place, located outside developed areas, is spoken of with great reverence. It is never mentioned in public writings and its location is not disclosed. This secrecy is not insignificant. It reflects a clear desire to protect sensitive areas, not from curiosity, but from projections and intrusions that could alter their significance.
Today, most of this knowledge is no longer passed down as freely as it once was. Indian residential schools, by imposing silence and shame, broke the natural chain of transmission between generations. Many young people grew up without hearing these stories, without knowing the places that had meant so much to their ancestors. Yet, in the hearts of many elders, the memory has never ceased to resonate. And today, these stories are experiencing a great revival.
This is why it is so important to cultivate a listening attitude. Not all the stories we hear about a place are equal, and not all of them come from the same source. Some have been invented or transformed to appeal to a Western imagination. Other, rarer stories emerge from an authentic connection, woven over time. The latter do not seek to seduce. They only ask to be heard with respect.
Mont-Tremblant is a mountain whose aura transcends words. For many, it is a place of leisure and escape. For others, it is an ancient landmark that bears fragile memories. Far from being opposed, these memories can coexist as long as the quietest voices are not silenced. Those with vision have always known how to listen to the mountain, not as a backdrop but as a presence.